GESTION LOCATIVE : L’URGENCE SANITAIRE, LES CONGES ET LA FORCE MAJEURE

La période actuelle dans laquelle nous sommes placés est extraordinaire sur le plan sanitaire tant son ampleur a impacté le monde entier. Chaque état a dû adapter la vie en société, revoir les règles de fonctionnement et prendre ainsi des dispositions législatives et règlementaires.

En France, une loi d’habilitation n° 2020-290 en date du 23 mars 2020 dite loi « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 » a autorisé le gouvernement à procéder par voie d’ordonnances, une loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, pour la partie législative et des décrets, arrêtés sont venus compléter ces nouvelles dispositions temporaires.

Pour les administrateurs de biens, les principaux textes sont issus des ordonnances 306 du 25 mars 2020 modifiée par lOrdonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire et divers décrets…

Même si ces mesures sont provisoires, elles ont un impact au-delà de la période de sécurité sanitaire laquelle est définie du 12 mars au 23 juin 2020.

Cette période de 3 mois ouvre la porte à un contentieux à venir important.

Au-delà des contentieux et du bouleversement des délais de procédure, les nouvelles mesures concernent aussi les relations contractuelles des bailleurs/locataires. Les congés se trouvent impactés par ces dispositions.

De même, l’inexécution des obligations peuvent-elles trouver du crédit à la lumière de la force majeure ?

 

Les congés

Pour les baux d’habitation :

Les principales dispositions textuelles résultent de :

  • L’Article 5 ordonnance du 25 mars 2020, n° 2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, laquelle dispose que :

« Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période ».

  • L’Article 15 de la Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, s’agissant des baux d’habitation

 

   1.Congé donné pendant la période du 12 mars au 23 juin 2020 :

Lorsqu’il émane du locataire, le délai de préavis applicable au congé est de trois mois ou un mois (selon les circonstances ou la zone géographique). Les conditions et les effets du congé demeurent inchangées que celui-ci ait été délivré avant, pendant ou après la période d’urgence sanitaire. Ainsi, il est parfaitement possible pour un locataire de donner congé à tout moment.

Lorsqu’il émane du propriétaire, celui-ci bénéficie de 2 mois supplémentaires à compter de la fin de la période sanitaire soit le 23 juin pour donner congé à son locataire à savoir : 23 août 2020.

     2.Congé donné avant la période du 12 mars au 23 juin 2020 mais dont le terme est compris entre ces deux dates :

Lorsqu’il émane du locataire, idem que précédemment.

Lorsqu’il émane du propriétaire, les délais ne sont pas prorogés toutefois ils se heurtent à l’impossibilité pour le locataire confiné de pouvoir déménager, lequel devra régler une indemnité d’occupation ou pour l’établissement de l’état des lieux de sortie et remise des clés.

Ces délais s’appliquent aussi bien en location vide qu’en location meublée.

 

Pour les Baux commerciaux :

L’Article L145-9 du code de commerce dispose :

« … Les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l’effet d’un congé donné six mois à l’avance ou d’une demande de renouvellement.

  • A défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil… »

Nous ne sommes pas dans la même situation que pour les baux d’habitation. En effet, les baux commerciaux ne se renouvellent pas à défaut de congé, ils se prolongent tacitement et cessent en cas de congé. C’est l’hypothèse du congé donné pendant la période de sécurité sanitaire qui nous intéresse.

Il semblerait que l’on applique les dispositions de l’article 5 de l’ordonnance susvisée prorogeant les délais de signification ou notification des congés, tant à l’égard du bailleur que du preneur.

Il serait cohérent de considérer que la durée du préavis demeure inchangée.

Il convient cependant d’être très prudent sur les analyses « à chaud », la jurisprudence étant la seule habilité à interpréter les lois avec l’autorité qui s’impose.

 

Réflexions sur la force majeure

L’Article 1218 du Code civil dispose : « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

La jurisprudence va trancher la force majeure, débat qui fait déjà couler beaucoup d’encre chez les avocats en cette période d’urgence sanitaire.

À cet égard, la jurisprudence (Cass. ass. plén.,14 avril 2006) considère qu’un événement de force majeure se caractérise par les éléments suivants :

  • Empêchement d’une partie d’exécuter l’obligation ;
  • Indépendance de la volonté de la partie défaillante ;
  • Imprévisible au moment de la conclusion du contrat) ;
  • Évènement insurmontable.

Ces critères sont cumulatifs.

Le preneur a la faculté de demander la suspension ou la résiliation du contrat au motif que le paiement du loyer est devenu impossible en raison d’un événement de force majeure.

Toutefois, une jurisprudence plus récente (Cass. Com., 16 septembre 2014, n° 13-20.306) considère que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure ».

En l’occurrence, l’impossibilité d’exonération s’explique par le fait qu’un débiteur ne peut être empêché de payer son loyer lorsque les fonds nécessaires sont disponibles. Les mesures prises par le gouvernement ne sont probablement pas suffisantes pour rendre impossible l’obligation de paiement du loyer ou en tout cas certaines de l’application de la force majeure dans nombre de situations.

La force majeure est certainement l’argument des locataires commerciaux débiteurs qui sera déployée pour s’opposer à la résiliation de leur bail.

A suivre …